20 août 2008

Mouta Wakilou GLIGLI : « Nous sommes bel et bien dans un pays en faillite et sous la coupe réglée d’un clan… »

Tultogo.com : Mouta Wakilou, Bonjour! Si je dis Tavio Amorin!

Maurice Mouta Wakilou Gligli : Grand homme politique Togolais.

Tultogo.com: Malgré sa courte expérience dans la vie publique au Togo, Tavio Amorin est néanmoins considéré comme un homme politique d’importance ?

MMWG : En politique, il n’y a pas de petites choses ou des choses de moindre importance; il y a surtout des actes déterminants. Tavio Amorin a juste été un homme politique au service de la cause du Togo, sans concession pour les ennemis du peuple et particulièrement pour le dictateur Gnassingbé Etienne Eyadéma. Ce sont la cohérence de ses idées politiques, la justesse de ses actions et sa détermination à ne pas composer avec la junte militaire qui ont fait sa popularité. Il incarnait parfaitement la jeunesse togolaise, ses aspirations et ses ressentiments. Il a été victime de cette force incarnée du peuple togolais et de sa détermination à en finir avec ses bourreaux. Son action politique a été brutalement stoppée mais l’impact reste historique et de référence dans la vie politique togolaise. Au regard de la justesse de son combat et de l’intensité de son parcours, c’est sans hésitation, que je puis vous affirmer que Tavio Amorin fut un grand homme politique.

Tultogo.com : A l’époque, comment aviez-vous vécu l’assassinat de Tavio Amorin ?

MMWG: Tavio Amorin était un membre de ma famille et c’est par la famille que j’ai appris l’attentat dont il a été victime. La nuit de son assassinat, le jeudi 23 juillet 1992, ma mère et mon oncle Alexandre Amorin ont pu récupérer l’arme du crime et les documents d’identité de l’assassin, négligemment ou intentionnellement abandonnés sur les lieux du crime. Ils sont ensuite passés chez moi les déposer sans rien me dire. Avec le recul, j’ai compris pourquoi ils n’ont pas voulu me faire part immédiatement de cette nouvelle douloureuse connaissant mon attachement à Tavio. Ce n’est donc que le lendemain que je l’ai apprise, j’en suis resté stupéfait et totalement consterné. J’éprouvais du désespoir d’avoir perdu à la fois un oncle et l’un des vrais hommes politiques nouvellement émergés au Togo depuis l’avènement de la dictature des Gnassingbé. A ce moment là, j’ai pris conscience de la véritable nature du régime et de l’issue difficile de la lutte des togolais pour la démocratie. La dictature venait de prendre ses marques vis-à-vis de cette jeunesse combattante qui feignait d’ignorer sa barbarie et sa nature violente si appréhendées par leurs aînés. La jeunesse venait de payer son tribut au combat en sacrifiant l’un des plus valeureux de ses combattants. Les leaders politiques de l’opposition, la société civile, pris de peur, s’indignèrent sans plus. Ce fut la désolation pour le peuple, Eyadéma venait de s’offrir une nouvelle garantie pour une dictature à durée indéterminée.

Tultogo.com : Vous étiez souvent dans le sillage de Tavio Amorin. Quelles étaient exactement vos relations ?

MMWG: A vrai dire, j’étais à la fois un neveu, un combattant, un disciple et un homme de confiance de Tavio Amorin. Il était mon oncle, il était l’un des jeunes frères de ma mère. J’admirai sa pugnacité, sa verve, son sens de la collectivité et c’est tout naturellement que je suis devenu l’un des ses premiers militants. Je militais donc dans son parti le PSP (Parti Socialiste Panafricain) et j’étais le responsable de la JPSP (la section Jeunesse du parti). C’est Tavio Amorin qui m’a politiquement formé ; comme disciple, j’ai méthodiquement suivi ses enseignements. Au-delà de toutes ces considérations, je suis un démocrate togolais qui a apprécié l’action de Tavio Amorin comme beaucoup d’autres au Togo et en Afrique, à juste titre. Nos relations étaient naturellement familiales et essentiellement politiques.

Tultogo.com : La jeunesse togolaise ne s’est-elle pas détournée du cheminement politique de Tavio Amorin? Pensez- vous que son héritage politique puisse perdurer ?

MMWG: Nous nous sommes certainement écartés du cheminement et des exigences politiques de Tavio Amorin. Il ne pouvait en être autrement car nous sommes toujours dans l’ordre dictatorial au Togo. Heureusement qu’il y a des médias et quelques compatriotes responsables comme vous, pour rappeler aux Togolais le combat et les idéaux de Tavio Amorin. Pour en revenir aux axes de la pensée de Tavio Amorin, nous devons nous souvenir qu’il est de tradition panafricaniste comme le Docteur Kwame N’Krumah. Il s’agit essentiellement d’améliorer les conditions d’existence des africains et plus particulièrement des Togolais, dans le domaine social (santé, éducation, égalité des sexes, travail, etc..) et dans le domaine politique (instauration de la démocratie, défense des libertés individuelles et publiques et sécurité des populations). En fait, ce sont-là les objectifs essentiels de Tavio Amorin. Vous conviendrez avec moi que ces préoccupations ne sont point celles des hommes politiques corrompus ou des gouvernements qui se sont succédés depuis plus de 40 ans. A titre d’illustration, il n’y a qu’à se référer aux derniers événements du Togo en ce mois d’Août 2008 : la flambée des prix des denrées de première nécessité, les inondations qui ont détruit les récoltes agricoles et les principales infrastructures datant des temps coloniaux…alors que l’inénarrable Ministre de la Coopération Gilbert Bawara nous parle de fatalité. Il en est de même du lâche assassinat de Atsutsé Agbobli alors que le même personnage, Bawara, persiflait Gilchrist Olympio quand se dernier s’inquiétait pour sa sécurité. Nous sommes bel et bien dans un pays en faillite et sous la coupe réglée d’un clan qui pille sans se soucier du devenir de la population. Elle est loin l’ambition du peuple togolais pour un développement collectif et une vie apaisée

Tultogo.com : Cela explique-t-il la tentative de récupération ou d’édulcoration de la mémoire de Tavio Amorin ? Suspecteriez-vous certains de ses anciens amis de combat de forfaiture ?

MMWG: Les suspicions sont grandes. Je pèse mes mots ; il est évident que certains hommes politiques togolais souhaitent enterrer la mémoire et les idéaux de Tavio Amorin. Il y a une suspicion légitime de ma part, à l’égard de certains de ses anciens compagnons de lutte qui ont du mal à résister à la compromission avec le pouvoir RPT. Pour se dédouaner, certains d’entre eux, allant jusqu’à supputer que « Tavio s’il était vivant serait-il au gouvernement ou pas ? », doutant de la sincérité de l’inspiration marxiste de Tavio Amorin, alors que c’est culturellement, face aux réalités et dans le feu de l’action que se forgent les convictions. Loin de moi l’idée de juger ceux dont la « faim » justifie les revirements. Tavio Amorin n’était pas du genre à vendre ses convictions pour quelques strapontins ou piécettes. Depuis sa mort, il y 16 ans, il est dommage que ce qui reste de ses fidèles militants ne puissent trouver l’énergie indispensable pour rallumer le flambeau.

Tultogo.com : Pour vous les familiers, le parti est-il en sommeil ou va-t-il tomber dans un silence perpétuel ?

MMWG: Un parti politique est un bien public et non propriété familiale. Néanmoins, je suis conscient de la disparition inéluctable du PSP, si rien ne vient attiser la révolte inspirée par Tavio Amorin. La nature du régime a contraint à l’exil certains membres influents du PSP, rendant difficile sa réorganisation et la mobilisation des militants. Je suis moi-même en exil et coupé de la base ; de l’étranger, j’essaye de contribuer à ma manière à perpétuer les idées de Tavio Amorin à travers le Cercle de réflexion Kwame N’Krumah et la fondation qui porte son nom.

Tulgoto.com : Que pensez-vous de l’évolution du MO5 dont Tavio Amorin était l’un des fondateurs ?

MMWG: Le MO5 est un mouvement avec une forte symbolique dans la mémoire des togolais. Il est l’essence même de l’esprit de contestation des jeunes togolais dans les années 90. Il est vrai que le mouvement est né dans un contexte particulier et depuis la mort de Tavio, l’un de ses fondateurs, le cheminement des autres membres phares est diversement apprécié. J’espère simplement que les animateurs d’aujourd’hui sauront rester fidèles aux fondements du mouvement et à l’esprit de révolte insufflé par Tavio. Faure perpétue la dictature des Gnassingbé et force est de constater que certains anciens caciques du MO5 ont été sensibles aux sirènes et à la force corruptive de son régime. C’est au MO5 de lever ses ambigüités. Prenant exemple de Kangni Alemdjrodo, coordinateur à la culture et à l’éducation du MO5, devenu représentant personnel du dictateur Faure Gnassingbé auprès de l'Organisation Internationale de la Francophonie et des propos de Logo Dossouvi de retour d’exil, conseiller à la planification stratégique du MO5, qui frisent allégeance au pouvoir. On ne peut pas nier que le MO5 traverse une grave crise. Après 16 ans d’exil, Eloi Koussawo, coordinateur du MO5, récemment rentré à Lomé afin d’honorer la mémoire de sa mère défunte il y a quelques années, arrive bien opportunément pour ce mouvement en quête de cohérence….

Tultogo.com : Pouvez-vous nous donner des nouvelles de la famille de Tavio Amorin ?

MMWG: Les douleurs sont encore vivaces. Laissons la part strictement privée à la discrétion de la famille ; à ce titre, je suis tenu à un devoir de réserve et la prudence est de mise pour la tranquillité de sa famille.

Tultogo.com : L’alternance est-elle possible un jour au Togo ? Que pensez-vous de la prochaine élection présidentielle de 2010 ?

MMWG: A l’échelle de l’histoire des hommes, tout pouvoir a une fin. Le Togo appartient à tous ses fils ; ce n’est pas la propriété d’une seule personne ni d’un clan… S’agissant des échéances présidentielles de 2010, j’aimerai vous rappeler qu’une dictature ne se démocratise pas et ne perd pas les élections qu’elle organise. Les élections au Togo sont exigées par la communauté internationale pour mieux masquer sa lâcheté et faire régner le statu quo. Ces élections ne satisfont également que les hommes politiques certains de maintenir ou de conserver leur statut d’apposant privilégié. Je vous renvoie à un vieux slogan : « Avec Eyadéma, pas de changement » même si celui-ci s’appelle Faure Gnassingbé.

Tultogo.com: L’historien Atsutsé Kokouvi Agbobli vient d’être lâchement assassiné ; à plusieurs égards cet assassinat ressemble à celui de Tavio Amorin. Pensez-vous que la dictature des Gnassingbé aura raison de tous les porte-voix du combat de libération des Togolais ?

MMWG : J’ignore les raisons de l’assassinat de l’historien Atsutsè Agbobli mais il est troublant de constater que les circonstances de sa mort sont analogues à celles de Tavio Amorin. Néanmoins, au vu du parcours politique de l’historien Atsutsè Agbobli, nul ne peut affirmer que ces deux hommes aient été tués pour les mêmes motifs. La violence utilisée comme moyen politique par la dictature au Togo est inadmissible. A la signature du soi-disant Accord politique global (APG), les signataires voulaient nous faire croire que le temps où les enfants du Togo étaient lâchement abattus pour leurs opinions était révolu. J’interpelle donc nos leaders politiques vieillissants à prendre conscience de leur naïveté en sous-estimant le système. Je les invite à sortir de cette impasse et les prie de passer au plus vite le relais aux plus vaillants des irréductibles combattants pour la liberté. Le Togo est toujours sous le joug d’une dictature et c’est la stratégie de la terreur qui régit le système. Ce pouvoir se nourrit du sang du peuple assassiné pour entretenir la peur de la violence et asseoir sa domination. L’assassinat de notre aîné Atsutsè Agbobli est un signal avant-coureur pour faire taire les voix courageuses et surtout intimider les hommes politiques qui se bercent d’illusions pour les élections de 2010.

Tultogo.com : Mr Maurice Mouta, je vous remercie.Propos recueillis par Xavier Nougblega, tultogo.com