Tunisie, Egypte : Des leçons pour la lutte démocratique du peuple togolais.(Deuxième partie)
Les mouvements de lutte populaire qui se sont déroulés vingt ans auparavant en Afrique subsaharienne, et notamment dans notre pays, n’ont pas abouti au même résultat qu’en Tunisie et en Egypte. Si et si nos dictateurs sont toujours là, c’est que ces mouvements ont suivi une voie différente. Chez nous par exemple le mouvement insurrectionnel qui s’était levé à partir du 5 octobre 1990 ne laissait planer aucun doute sur la revendication populaire. Ce que voulait le peuple, ce que disait leur cri de ralliement, c’était «Eyadema démission !», un mot d’ordre qui n’est pas sans rappeler le fameux «Dégage», des peuples tunisien et égyptien. Mais alors que la lutte se développait, acculant de plus en plus la dictature dont les jours semblaient comptés, on a vu apparaître et s’agiter au-devant de la scène politique des «savants et experts en démocratie», des «leaders» se disant de l’opposition qui ont commencé à tenir un autre discours. Ils ont prétendu que la démocratie pouvait résulter de leurs négociations avec l’autocrate, et que la lutte populaire n’était plus nécessaire.
Ainsi, il a suffi qu’Eyadema ouvre la bouche, le 30 octobre 1990 et parle de «réformes constitutionnelles», pour que ces leaders de l’opposition dite démocratique proclament que «nous sommes sur la bonne voie» et appellent à la fin du combat populaire. Ils ont répété la même manœuvre en mars 1991, au moment où, à la veille d’une grève générale illimitée, on a annoncé l’imminence d’une rencontre gouvernement-opposition. Au Togo, ces leaders ont fini par imposer leur point de vue et ont réussi à empêcher le soulèvement populaire d’aller jusqu’au bout. On nous objectera qu’on a tout de même mené une grève générale illimitée, et que celle-ci a lamentablement échouée. Nous ferons remarquer que cette grève, mal engagée et mal conduite par ailleurs, avait été déclenchée dans le but non pas de faire déguerpir Eyadema, mais seulement d’engager une énième négociation avec lui. L’autocrate n’avait qu’à laisser pourrir le mouvement, et c’est ce qu’il a fait. Que n’avons-nous pas vu au Togo en matière de dialogue et de conciliation : conférence nationale souveraine, négociations de Colmar, de Ouaga, Accords cadre de Lomé, les 22 engagements, accord politique global….Tout y est passé, avec dans l’intervalle, des massacres, des coups tordus, et encore des massacres ! Mais le seul résultat a été de légitimer et de consolider une dictature de type monarchique, où le fils a succédé au père !
Justement, les élections législatives qui ont eu lieu en Tunisie le 23 octobre 2011 nous confirment de manière flagrante la seule voie juste pour la conquête de la démocratie c’est celle de la lutte populaire. En effet, les témoignages tant intérieurs qu’extérieurs s’accordent pour reconnaître que ces élections tunisiennes étaient justes, libres et transparentes, en dépit de quelques incidents mineurs dont tous ont reconnu le caractère marginal.
En effet, Contrairement à ce qui se passe habituellement chez nous, on a su éviter les querelles et les contestations à propos des cartes et des listes électorales ; de même, personne n’a eu à se plaindre de fraudes massives, de bourrage d’urnes, de tripatouillages; les résultats ont été proclamés dans un délai relativement court, et n’ont pas donné lieu aux contestations et aux affrontements postélectoraux que l’on observe généralement dans notre pays. Même si certains ont déploré le succès d’ENNAHDHA, le parti islamiste, il n’a jamais été question de mettre en cause l’honnêteté du scrutin. Et tous ont reconnu le sérieux de l’ISIE (Instance supérieure indépendante pour les élections, l’équivalent de la CENI de chez nous). Nous remarquerons par ailleurs, que les Tunisiens n’ont jamais senti le besoin de recourir à des organismes de la «communauté internationale» pour superviser, voire contrôler leur processus électoral. Certes, des observateurs étrangers étaient présents, mais ils n’ont fait qu’observer et témoigner, et rien d’autre.
Mais pourquoi donc cette différence avec ce qui se passe chez nous où les élections ne sont que des mascarades ?
Cette différence tient dans l’orientation de la lutte du peuple tunisien. Le peuple tunisien, en effet, a visé juste dans le choix de ses priorités et de ses objectifs. Sans se laisser distraire par des semeurs d’illusions et autres partisans de la conciliation et du dialogue, il s’est d’abord occupé d’abattre l’obstacle immédiat qui barrait la route à sa volonté émancipatrice: le tyran Ben Ali et son système autocratique. L’éviction de ce dernier et de sa clique, leur traduction devant la justice, l’interdiction du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, l’équivalent du RPT de chez nous), la dissolution de la Sûreté d’Etat, de la police politique, ont sans aucun doute supprimé la principale cause des pratiques d’intimidation, de répression antipopulaire, de fraudes et de corruption. De ce fait, il s’est instauré dans ce pays un climat nouveau, où la peur et la méfiance ont fait place à l’enthousiasme, à la mobilisation vigilante. Dans ce nouveau climat de liberté conquise, la mobilisation et la vigilance populaire ont suffi pour assurer la transparence et l’honnêteté du scrutin. Ainsi, le peuple tunisien nous a apporté la preuve et la confirmation qu’un peuple, dès lors qu’il a conquis sa liberté, est à même d’assurer par sa mobilisation et son organisation, des élections transparentes , justes et crédibles. L’exemple tunisien montre bien que l’argument qui veut nous faire croire que c’est une question d’expérience qui demande du temps, est un argument trompeur qui ne sert que d'alibi. .
Ajoutons sur un autre registre que la chute de Ben Ali et de sa clique a permis de se saisir des biens et des immenses fortunes qu’ils ont frauduleusement accumulés en Tunisie même, et d’entreprendre des démarches en vue de récupérer ceux qui se trouvent à l’étranger. C’est ainsi qu’une soixantaine de commissions rogatoires internationales ont été lancées par le gouvernement de transition, qui ont abouti au blocage de certain, et que des sommes ont déjà été récupérées. Tout cela n’aurait pas été possible si le peuple n’avait pas «dégagé» l’autocrate. On voit en comparaison ce qui se passe chez nous à la «conférence nationale souveraine» de juillet 1991 on a entendu de grandes révélations sur les détournements et les pillages opérés par Eyadéma et sa clique; une commission des biens mal acquis avait même été mise sur pied. Mais Eyadéma a gardé sa fortune et ses descendants l’ont hérité en toute tranquillité. Faure s’en servira certainement pour acheter des votes comme en son habitude, lors de la prochaine élection.
Contrairement au peuple togolais, les peuples tunisien et égyptien ont mené résolument leur lutte sans se laisser divertir par les sirènes de la démocratie par le dialogue et la conciliation avec l’autocratie. Cette résolution dont ils ont su faire preuve s’explique sans doute par leur propre expérience de lutte; mais c’est aussi le résultat du travail d’explication et de mobilisation entrepris en leur sein par de véritables partis et organisations démocratiques.
C’est le lieu de souligner ici l’importance de la propagande dans la lutte pour la démocratie. En effet, les observateurs n’ont pas manqué de relever le rôle joué par les moyens électroniques (Courriel, Twitter, Facebook.) dans la mobilisation populaire. Cela est incontestable. Mais nous ne devons pas oublier qu’il ne s’agit que de simples supports techniques, et que l’essentiel est le contenu qu’on y met. Il est indéniable en effet que ces moyens ont permis de développer au sein du peuple les idées démocratiques, l’esprit de résistance et de lutte sans concession, et que cela a permis d’écarter toute idée de conciliation avec les autocrates. Bref, l’exemple tunisien et égyptien montre que «la démocratie par le clavier» a aussi son importance, et qu’à vouloir négliger cette forme de lutte, on risque seulement de laisser le terrain aux faux démocrates et aux démagogues.
Certes la démocratie est loin d’être acquise de manière complète et définitive en Tunisie et en Egypte aujourd’hui. Elle peut encore connaître des avancées ou des reculs. Il appartient aux démocrates de ces pays, de continuer et d’amplifier leur travail de mobilisation et d’organisation, afin que les peuples poursuivent leur lutte dans le sens de leurs intérêts et de leurs aspirations véritables.
Bruxelles, le 24 janvier 2016
Le Front des Organisations Démocratiques Togolaises en Exil
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