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KANLENTO-AVULETE "vaillant combattant, nous devons lutter"
5 mars 2011

débats-

Pourquoi adhère-t-on à un parti plutôt qu’à un autre ?

 
 
Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

 

L’année passée, nous avions réagi à l’allocution prononcée par le président de l’Union pour la Reconstruction du Congo (UREC), le Dr. Oscar Kashala, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de notre pauvre pays. Dans sa communication publiée par CIC, le leader de l’UREC affirmait que «les analyses élémentaires les plus objectives tendent toutes à démontrer que le problème du Congo est un problème d’hommes. Un problème réel de leadership bien inspiré et dynamique, prêt à privilégier l’intérêt du pays au détriment de l’intérêt personnel. C’est aussi un problème d’un manque d’une vision claire de ce que l’on veut et où l’on veut amener le pays. C’est surtout un problème de la volonté d’instauration d’un système de gouvernance efficace et qui témoigne de sa compétence, pouvant entraîner la population vers plus de productivité ». Le Dr. Kashala pensait sans doute que puisque le Congo était dirigé par un ancien taximan doublé d’une brute sanguinaire et que le grand intellectuel qu’il était avait une riche expérience professionnelle acquise dans de grandes institutions internationales, il incarnait, lui, le nouveau type de leader dont le pays avait tant besoin. 

Dans notre article intitulé «Le mal congolais : un problème d’hommes ?», nous incriminions avant tout les institutions politiques dites démocratiques ou la démocratie de façade, autrement appelée démocratie mimétique ou démocratie des singes, qui n’offre aucun contre-pouvoir effectif. Aussi plaidions-nous pour une démocratie endogène qui tiendrait compte de la réalité du pouvoir telle qu’elle s’exprime en Afrique. Il s’en est suivi une vague d’indignation, notamment de la part du haut cadre de l’UREC Serge Welo. A peine venait-il de défendre l’honneur de son chef que CIC publiait un article au titre suffisamment éloquent : «Serge Welo dit adieu à l’UREC d’Oscar Kashala». Aujourd’hui, dans ses «Questions directes à Alidor Mutudi», Baudouin Amba nous édifie davantage, car cet autre haut commis de l’UREC vient de claquer la porte pour la même raison. Le président de son parti, qui vit aux Etats-Unis depuis son échec à l’élection présidentielle de 2006, ne s’intéresse qu’à la prochaine élection présidentielle. Les élections législatives sont le dernier de ses soucis. On serait tenté de croire que telle est la définition du nouveau type de leader selon le Dr Kashala. Mais laissons de côté le ton polémiste et restons pédagogue en nous posant une question d’intérêt général. Pourquoi l’homme congolais ou africain adhère-t-il à un parti plutôt qu’à un autre? Posez cette question, c’est aussi se demander pourquoi les élites créent des partis politiques. 

La réponse à ces questions a été donnée à la veille de l’accession de notre pays à l’indépendance. Et elle reste d’actualité comme nous allons le démontrer. Avant février 1959, l’Alliance des Bakongo (ABAKO), animée par des ressortissants des districts du Bas-Congo et des Cataractes, n’est confrontée à aucune formation politique concurrente dans la province de Léopoldville. En ce mois de février, un groupe de personnes originaires des districts du Kwango et du Kwilu crée le Parti Solidaire Africain (PSA) avec Antoine Gizenga à sa tête. Pourquoi crée-t-on une autre formation politique au lieu d’adhérer à celle qui existe déjà ? La réponse se trouve noir sur blanc dans la première lettre que le comité central du PSA à Léo adresse au comité provincial à Kikwit, le 6 mai 1959: «Les partis créés à Léopoldville reflètent l’origine des fondateurs. Les autres régions se font connaître. On parle des leaders Abako, des leaders du Mouvement National, etc. Et nous ? Resterons-nous toujours muets ? Réveillons-nous et bougeons. Nos deux districts, Kwango et Kwilu, comptent environs 2,5 millions d’habitants, par contre celui du Bas-Congo compte environ 300 mille habitants. Nous, majoritaires dans la province, être représentés et fidèlement conduits par des Bakongo qui sont minoritaires ? C’est illogique » (Weiss, H. & Verhaegen, B., Parti Solidaire Africain, Bruxelles, Centre de Recherche et d’Information Socio-Politique, 1963). 

Les « évolués » du Kwango-Kwilu ne se sentent pas concernés par l’ABAKO, une affaire des Bakongo dont les dirigeants nourrissent un complexe de supériorité vis-à-vis des autres ethnies de la province, sans doute parce qu’ils étaient les premiers Congolais à entrer en contact avec les Européens. Lors du congrès de Kisantu en décembre 1959, ces dirigeants désignent le cartel formé par l’ABAKO, le PSA, le MNC et le Parti du Peuple “Cartel Abako”. Ils réclament que, dans le but de sauvegarder l’unité du cartel, son président général, son conseiller général ainsi que son secrétaire général soient de l’ABAKO, et que le PSA se contente du poste de Trésorier Général. Le congrès rejettera cette expression d’hégémonie ethnique kongo. 

Le PSA s’adresse à la clientèle du Kwango-Kwilu. Qui retrouve-t-on dans son directoire ? Presqu’exclusivement des Kwilois. A leur tour, les Kwangolais ne se reconnaissent pas dans ce parti. On tente de maintenir l’unité des deux districts au sein du parti en nommant un fils du Kwango, Pierre Masikita, au nombre des vice-présidents nationaux. Peine perdue. Aussi assiste-t-on à la création de l’Union Kwangolaise pour la liberté et l’Indépendance (LUKA) et du Centre de Regroupement pour les Intérêts du Kwango (CRIK). Désormais, le PSA a du mal à s’implanter dans le Kwango où ses militants font l’objet d’une véritable chasse à l’homme et où ses locaux sont saccagés. En témoigne, par exemple, cette violence verbale d’un leader de la Luka: «Les Bambala du Kwilu exploitent le Kwango. Tufi na bau. Bambala yonso ya Kwilu, tufi na bau. Ba muyibi, beto kutonda ba muyibi ve, luvunu mpi ve. Ils nous ont traités de voleurs et ce sont eux les voleurs les plus qualifiés». La partie de la citation en en Kikongo se traduit comme suit: « Qu’ils crèvent. Que tous les Bambala du Kwilu crèvent. Des voleurs. Nous ne voulons pas avoir des voleurs et des menteurs chez nous ». 

Au congrès du PSA tenu dans la ville de Kikwit, du 13 au 14 mars 1960, un militant demande au président provincial ce que doit être l’attitude du PSA vis-à-vis des autres partis qui s’implantent dans le Kwilu. La réponse de Cléophas Kamitatu ? « En principe, chacun est libre d’adhérer au parti de son choix mais, en pratique, il est du devoir des leaders d’user de toute leur diplomatie pour faire échouer l’action de ces nouveaux partis ». Mais dans une lettre adressée au comité central du parti le 28 juin 1959, Kamitatu exprime en ces termes son inquiétude suite à la présence à Kikwit d’un propagandiste du Mouvement National Congolais (MNC): « On est venu troubler les esprits à Kikwit par des doctrines contradictoires. Ceci est une preuve évidente de votre mésentente à Léopoldville, et nous ne voulons pas en être victime. Nous entendons former l’unité du Kwilu et nous vous demandons de travailler dans ce sens avec force ». Et quand à la fin de janvier 1960 se crée, dans le district du Lac Léopold II, le parti Rassemblement Démocratique du Lac Léopold II, Kamitatu fait une brillante démonstration de sa “diplomatie”. De la capitale belge, il adresse une lettre à Massa Jacques, le président du nouveau parti: « C’est avec surprise que nous avons pris connaissance de votre communiqué annonçant la création du nouveau parti politique (RDLK). Nous vous dénions formellement le droit de représenter en quoi que ce soit les populations du Kwango-Kwilu dont les interlocuteurs valables ne sont plus à dénicher du fond des bois ni des marais ». Quel fin diplomate ce Kamitatu qui, en faisant allusion au fond des bois et des marais, traite Massa Jacques de forestier, primitif ou arriéré ! 

Pour nombre d’observateurs dont les dirigeants et intellectuels africains aux cerveaux formatés par la propagande coloniale, qui reste en vigueur jusqu’à nos jours, ce qui est exposé ci-dessus constitue la preuve que les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie. Il s’agit là d’une mauvaise interprétation qui rend difficile la recherche d’une voie appropriée pour asseoir la démocratie en Afrique. Le comportement politique décrit ci-haut ne signifie pas que les acteurs politiques sont imperméables à l’idée de la nation congolaise. Il signifie une et une seule chose : la nation congolaise est plurielle et chaque identité communautaire tient à être représentée dans la gestion de la chose publique. La conflictualité du modèle démocratique occidental aidant, les hommes politiques sont tiraillés entre le désir de dominer et la crainte d’être dominés, attitudes qu’ils finissent par transmettre aux membres de leurs groupes communautaires respectifs et qui expliquent les tensions, les conflits ethnico-régionaux et bien de guerres civiles. 

En règle générale, les élites créent des partis politiques pour assouvir leur soif du pouvoir. Pour cela, elles s’appuient sur leurs identités communautaires respectives qui ressentent le besoin d’être représentées dans la gestion de l’Etat voire d’y occuper une position hégémonique. Aussi les masses se mobilisent-elles derrière un leader de leur ethnie ou région. Les élites, elles, ont un souci supplémentaire. C’est le positionnement. Ici, l’individu adhère au parti qui peut certes l’attirer pour l’une ou l’autre raison sentimentale, mais qui en pratique semble lui offrir plus de chance de devenir un animal politique. La combinaison de ces deux facteurs, se ranger derrière quelqu’un de son bord pour les masses populaires et se positionner en vue de l’intérêt personnel pour les élites, explique qu’on ait au finish des partis dans lesquels se retrouvent les élites issues de différentes identités communautaires traînant derrière elles des clientèles ethnico-régionales sans pour autant empêcher la domination du parti par des membres de l’identité ethnique ou régionale de son chef ou « propriétaire ». Ainsi, le PALU, par exemple, est un parti régional du district du Kwilu. Mais les postes auxquels ce parti a droit au gouvernement national sont accaparés par des Pende du territoire de Gungu, le groupe ethnique de Gizenga, alors que la majorité de députés de ce parti est issue d’autres ethnies des territoires de Bulungu et Masimanimba. Le PPRD, lui, est un parti à dimension nationale. Mais son pouvoir réel, incarné par « Joseph Kabila », est dominé par des Katangais, usurpation d’identité oblige, et des Tutsi, le véritable groupe ethnique de l’imposteur rwandais. 

Il va sans dire que des circonstances exceptionnelles (lutte de tout un peuple contre le despotisme, par exemple), l’aura ou le charisme et les moyens financiers d’un leader peuvent entraîner un jeu de positionnement tel que son parti finit par avoir une dimension nationale pendant que d’autres partis ont une dimension régionale voire ethnique. Mais cela ne signifie pas que le parti à dimension nationale se distingue des autres de par son idéologie ou son programme politique. Dès lors, quand les élites qui changent de parti invoquent des raisons liées aux programmes politiques ou aux idéologies, ils mentent tout simplement afin de jouer aux civilisés. Généralement, les idéologies des partis africains sont suspendues en l’air puisque n’ayant aucun rapport avec les conflits et aspirations majeurs au sein des Etats. Quant aux programmes politiques, les partis qui ont le temps de les élaborer font tous du bon travail. Il n’y a d’ailleurs rien de plus facile que d’étaler un catalogue de bonnes intentions. 

En somme, quand on parle de l’instauration du multipartisme au Congo et ailleurs en Afrique, il suffit de réfléchir quelques instants pour voir, au contraire, qu’il serait plus correct de parler de “multi-monopartisme”. Car les facteurs qui mobilisent réellement les masses, l’ethnie et/ou la région, agissent de telle sorte que chaque coin du pays se retrouve, après les élections, dans une situation de quasi-monopartisme. Ce fut le cas après les premières élections législatives que connut le Congo du 11 au 25 mai 1960. « Les partis ethniques et régionaux furent confirmés dans leurs fiefs : l’ABAKO dans le Bas-Congo et la capitale, le PSA au Kwilu, la LUKA au Kwango, le CEREA dans le Nord-Kivu, la CONAKAT dans le sud du Katanga, la BALUBAKAT dans le Haut Lomami, le PUNA dans le district de Mongala, le MNC-Kalonji dans le district de Kabinda ». Quarante six années après l’independance, c’est-à-dire en 2006, le deuxième tour de l’élection présidentielle a demontré que ce comportement restait d’actualité, avec l’Est et l’Ouest du pays votant pour un candidat de son bord. 

De nos jours comme en 1960, la création des partis politiques de même que l’adhesion à ceux-ci obéit à la même logique. On peut affirmer qu’en Afrique, les formations politiques agissent et continueront à agir comme de véritables pourfendeurs de la paix et du principe démocratique tant que l’ethnicité et/ou la régionalité ne seront pas assumées positivement. Car la prise de conscience politique que le parti favorise déclenche conjointement une prise de conscience ethnique ou régionale et celle-ci constitue un milieu favorable au développement de forces centrifuges, à la haine tribale et aux épurations ethniques. La course au pouvoir dans laquelle se lancent les hommes et les formations politiques devient sur le terrain synonyme de compétition entre différents groupes sociaux, l’enjeu consistant à placer un “frère” au sommet de l’Etat et d’étendre de ce fait l’hégémonie de son groupe sur tous les autres. On comprend que dans ces conditions, exclure un parti de la gestion de la chose publique, comme le voudrait la démocratie de type occidental, revient à exclure une partie de la nation, ce qui entraîne frustration et tension. 

On tombera donc d’accord avec Arthur Lewis qui, après avoir analysé les démocraties de l’Afrique occidentale au lendemain des indépendances, a abouti à cette conclusion: « L’affrontement politique entre un parti de gouvernement et un parti d’opposition n’est pas ce qu’il faut à ces pays; c’est un système qui n’est pas fait pour une société plurale et qui est impraticable dans la conjoncture ouest-africaine » (Lewis, W. A., La chose publique en Afrique occidentale, Paris, Sedeis, 1966). Ce dont des sociétés aussi hétérogènes que les sociétés africaines ont impérativement besoin, « c’est un régime démocratique qui accentue le consensus plutôt que l’opposition, qui inclut plutôt que d’exclure, et qui tente de maximiser l’ampleur de la majorité au pouvoir plutôt que de se contenter d’une majorité simple : en d’autres termes, une démocratie consensuelle » (Lijphart, A., Democracies : Patterns of majoritarian and consensus government in twenty-one country, Londres, New Haven, Yale University Press, 1984).

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
© Congoindépendant 2003-201

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