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KANLENTO-AVULETE "vaillant combattant, nous devons lutter"
27 décembre 2010

RDC

Me Christophe Marchand : « (…) Nous, Belges, avons participé activement à l’assassinat du grand leader congolais, Lumumba. C’est maintenant le temps de la vérité judiciaire»

Par Freddy mulumba kabuayi

Mme Annemie Schaus, professeur des droits de l’Homme à l’Université libre de Bruxelles et Me Christophe Marchand, avocat spécialisé en Droit pénal international et membre du Barreau pénal international, ont tablé avec Le Potentiel sur le dépôt d’une plainte en Belgique pour l’assassinat du héros national congolais, Emery-Patrice Lumumba, en 1961.

Qu’est-ce qui vous a motivés à décider de déposer cette plainte devant un juge d’instruction de Bruxelles ?

Christophe Marchand : La première chose, c’est que nous représentons la veuve et le fils de Patrice-Emery Lumumba. Nous avons été contactés et avons étudié la question pour voir s’il était possible de déposer une plainte en Belgique pour des faits qui se sont passés au Congo il y a très longtemps. Après les études juridiques que l’on a faites, la réponse a été positive. En fait, il n’y a jamais eu de justice, de vérité judiciaire établie dans ce dossier : qui sont les responsables, qui a vraiment tiré les ficelles et agi pour tuer Patrice Lumumba. Donc, la vérité est l’objectif que l’on poursuit.

Devant quelle juridiction déposerez-vous cette plainte ?

C.M: Nous avons décidé de déposer cette plainte, dans un premier temps, contre douze, treize personnes impliquées dans le dossier. Ce sera une plainte pénale au parquet. Donc devant un juge d’instruction, qui mènera soit une enquête, soit posera des problèmes de procédure.

Mais pourquoi le faire 50 ans après ? Pour quelle raison la famille vous l’a-t-elle demandé. ?

C.M : C’est une question qui est, je crois, assez tabou en Belgique. A l’école, on ne m’a jamais parlé de Patrice Lumumba. Je ne savais pas qui il était, quelle avait été son importance dans les relations belgo-congolaises. Donc, c’est un dossier qui est resté fermé pendant très longtemps pour des raisons politiques, d’opportunités. On n’en parlait pas en Belgique. Puis, il y a eu cette commission parlementaire. Il a fallu 40 ans pour avoir une commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale pour savoir ce qui s’est passé. Cela a duré très longtemps. Et c’est une enquête approfondie qui a été menée. Les faits ont été décrits. Par exemple, on a trouvé des télex des ministères belges qui envoyaient des ordres directement à l’armée katangaise, qui ordonnaient le transfert de Patrice Lumumba à Elisabethville après son arrestation à Kinshasa. Des documents qui ont montré l’implication, au jour le jour, de la Belgique dans les affaires intérieures congolaises, le Congo étant devenu un Etat indépendant. Et la Belgique venait s’immiscer, en faisant aussi la guerre au Congo. Cela a été établi chez nous en 2003, 2004. Donc, il a fallu du temps. Et puis, après cette enquête politique, c’est au tour de la justice de se saisir du dossier pour que les responsables soient condamnés. C’est le devoir de mémoire qui est important ici. Il ne faut pas oublier ce qui s’est passé. Il ne faut pas oublier que, nous, Belges, avons participé activement à l’assassinat d’un grand leader africain, d’un grand leader congolais. C’est maintenant le temps de la vérité judiciaire.

Il y a des morts parmi les assassins. Combien sont encore en vie ?

C.M : Au départ, on avait une vingtaine de noms. Et on a recherché ceux qui sont encore en vie. Ils sont une douzaine qui vivent en Belgique.

Mais ce sont des personnes déjà vieilles. Comment va-t-on faire?

C.M : Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on n’a pas de responsabilités par rapport à ce qu’on a fait. L’élément important dans ce procès, c’est qu’on considère que l’assassinat de Patrice Lumumba est un crime de guerre commis par la Belgique avec des complicités. Pour les crimes de guerre, la procédure prend du temps. Il y a d’autres exemples dans l’histoire, notamment les crimes de guerre des nazis pour lesquels on a jugé de très vieilles personnes. Ce n’est pas cela qui est important. Ce qui l’est, c’est qu’à un moment donné, il y a un procès. Et que des personnes qui commettent des crimes de guerre sachent qu’on n’échappe pas.

Il n’y aura pas de procès pour les morts ?

C.M : Qu’ils reposent en paix ! Pour des personnes vivantes, je crois qu’il est important qu’elles soient déférées devant le tribunal qui doit les juger.

Ne va-t-on pas vous accuser d’être des trouble-fêtes dans la mesure où vous créez des problèmes entre le Congo et la Belgique en voulant envenimer la situation ?

Annemie Schaus,: Je ne pense pas parce que je ne vois pas en quoi ça devrait intervenir dans les relations entre la Belgique et le Congo. Ici, ce qu’on veut, c’est faire juger des crimes de guerre commis par des individus. Ces crimes étant imprescriptibles, peu importe que les gens soient vieux ou non, peu importe où ils se trouvent. C’est un crime de droit international. Donc, il n’est pas question d’envenimer la situation. Il est question de connaître, enfin, la vérité de ce qui s’est passé. A ce moment-là, on permettra à la famille de faire son deuil. Parce que, finalement, à force de n’avoir jamais parlé jusqu’au bout de ce dossier, la famille n’a pas encore organisé le deuil du décès du mari, du papa Patrice Lumumba.

Il n’y a pas que des Belges qui sont impliqués dans l’assassinat de Patrice-Emery Lumumba. D’après certaines informations et des documentaires le démontrent, c’est la CIA qui est à la base de cet assassinat. Et selon certaines sources, Lumumba a été tué le 17 janvier parce qu’on avait peur que le président américain, John Kennedy, lui sauve la vie, une fois au pouvoir. Peut-on dire que ce sont les Américains qui ont tué Lumumba en utilisant l’armée belge ? Allez-vous également les poursuivre ?

A.S : Je crois que chaque chose a son temps. Pour le moment, nous avons été mandatés pour déposer une plainte en Belgique. On espère qu’une enquête aura lieu. Si celle-ci détermine tout ce que vous venez de dire, on verra comment la famille se décidera de réagir. On n’exclut pas l’autre. Mais on ne va pas faire de procès tous azimuts. On veut être rigoureux, précis aussi. On commence par le début, à savoir les responsabilités des personnes en Belgique. Mais le but est forcément que le juge d’instruction fasse une enquête. Peut-être qu’il découvrira qu’au-delà des 13 personnes qu’on va visiter, il y aura d’autres responsables d’autres nationalités. Et on verra à ce moment-là.

Que ferez-vous si la politique s’immisce dans la justice ? Ce n’est qu’une hypothèse car il peut arriver que vous subissiez des pressions politiques…

AS : Jusqu’à présent, malgré les éventuelles pressions politiques, le pouvoir judiciaire, qui est indépendant, ne va pas entrer dans le combat. Je ne crois pas qu’il va nous freiner. Je pense que cela aboutira. Par contre, il y aura peut-être des problèmes de procédure mais, même dans ce cas, nous irons jusqu’au bout. Quitte à devoir saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Mais nous irons jusqu’au bout avec ce dossier.

Même pendant 10 ou 20 ans ? Il se peut que la procédure dure longtemps. Allez-vous alors baisser les bras ?

C.M : Nous sommes des avocats indépendants, très combatifs. Nous pouvons aller jusqu ‘au bout. C’est pour cela qu’on a ce dossier pour l’amener jusqu’au bout. Il faut que la vérité soit établie. Ce sera plus facile que la Belgique dise qu’elle ne va pas enquêter sur ce crime de guerre. Au niveau international, avec la Cour pénale internationale, par exemple, la Belgique sera la première à dire qu’il faut poursuivre les crimes de guerre. S’il s’agit des crimes de guerre commis par des Belges, alors, il ne faudrait pas les poursuivre. La Belgique doit d’abord balayer devant sa porte avant de se faire le héros au niveau international de la lutte contre les crimes de guerre. On sera plus légitime à intervenir sur la scène internationale sur la répression des crimes de guerre qui ont lieu actuellement si nous la faisons nous-mêmes dans notre propre histoire.

Au bout du compte, la famille ne va-t-elle pas demander la réparation dans le sens qu’il faut payer ….

C.M : La question est que quand on est victime d’une infraction établie, c’est un crime à l’égard d’un membre de votre famille, il y a une indemnisation qui est prévue. Mais cela se fera après qu’on a obtenu la condamnation des personnes de manière individuelle. AS : L’objectif n°1 servira à la justice de connaître ce qui s’est passé pour faire le deuil et connaître exactement les frais précis d’indemnisation sera accessoire.

Au-delà de cette plainte que vous allez déposer, ne trouvez-vous pas nécessaire que Belges et Congolais fassent la relecture commune de leur passé commun afin que leurs enfants aient droit à la vérité ?

AS : Comme le disait Marchand tout à l’heure, dans nos livres et cours d’histoire, on nous a à peine expliqué la colonisation, encore moins en ce qui concerne Patrice-Emery Lumumba. Et ce serait peut-être intéressant qu’un travail commun soit fait pour qu’enfin, tout le monde sache exactement en exhumant l’histoire commune des peuples belge et congolais pour assumer celle-ci.

Pour toutes les démarches déjà entamées, avez-vous déjà rencontré ici au Congo certains acteurs, certains témoins de l’assassinat de Lumumba ?

C.M : Au sujet de l’enquête, on ne va pas faire de commentaires à ce stade-ci. Nous sommes venus pour faire les premières démarches. Le contenu de l’enquête et celui de la plainte seront l’exclusivité du juge d’instruction. Evidemment, nous faisons des recherches et nous n’allons pas en parler ici. C’est encore confidentiel.

Tout à fait autre chose, à présent. Est-ce que c’est la première fois que vous venez au Congo ? Quelles sont vos impressions lorsque vous parlez aux Congolais ?

AS : Je suis très surprise de voir les Congolais accueillants. Evidemment, le Congo était quand même une colonie belge. Je suis très émue d’avoir traversé Kinshasa. Les gens sont très gentils mais je suis frappée par la pauvreté. Là aussi, je suppose qu’un travail commun pourrait être fait pour sortir un peu de ce rouage infernal de la pauvreté. Je rêve. En tout cas, je ne peux pas vous cacher d’avoir rencontré la famille Lumumba, d’avoir été dans la maison …

Est-ce que c’est la famille Lumumba qui a demandé vos services ?

AS : Oui. La maman n’est pas venue en Belgique. Nous l’avons rencontrée à la maison et cela a été très émouvant.

C’est dire qu’il n’y aura pas de note salée, puisqu’il y a des honoraires à payer ?

C.M : L’équipe internationale des juristes, des avocats allemands qui nous aident dans cette démarche. Il y a également des avocats américains. Mais, sur le côté, nous réfléchissons à cette question-là. Il y a un soutien important de la plainte de la part des organismes non gouvernementaux (les fédérations des droits de l’Homme notamment), qui s’intéressent à la question. Laquelle ne touche pas que la Belgique et le Congo, mais qui va au-delà.

Parce que l’assassinat de Patrice Lumumba a entraîné la mise en place, dans beaucoup de pays d’Afrique au moment de la décolonisation, d’une politique dont l’objectif a été d’empêcher l’émancipation des peuples. C’est ce que désiraient les anciennes métropoles et les Etats-Unis. Il y a là un intérêt international qui est très important. Et nous sommes soutenus dans cette démarche qui demande beaucoup de travail, de rigueur. Nous devons lire beaucoup de documents (archives américaines, belges et congolaises).

Les médias belges vous laissent-ils la liberté de vous exprimer librement ?

C.M : On a eu beaucoup de contacts avec des médias qui ont une audience internationale très importante. Des médias à la fois américains et même japonais qui sont venus nous interviewer. Il y a vraiment un intérêt mondial sur ce dossier.

C’est vrai qu’en Belgique, certains médias peuvent ressentir une certaine gêne. Moi, je n’ai pas encore parlé de cette histoire, alors que rien n’est établi. On est toujours dans les non-dits. Il y a des choses qui ne sont pas éclaircies complètement. Ce qui est très important, c’est la vérité, la sincérité dans les relations. Et je pense que la sincérité passe par la vérité. Evidemment, cela ne plaît pas à tout le monde. On n’est convaincu qu’on est toujours dans l’idée selon laquelle on ne va pas parler, on va garder le secret. Mais tout le monde, Congolais et Belges, a intérêt à connaître la vérité.

Plusieurs ouvrages sur Lumumba ont été publiés en Belgique. Notamment Ludo De Witt qui écrit sur l’assassinat de Lumumba …

C.M : Cela est passé à la commission parlementaire et ce livre a fait scandale à l’époque. C’est ainsi que le Parlement n’a pas trouvé mieux que d’ouvrir une enquête parlementaire pour aller justement interroger les archives de l’Etat de l’époque, entre autres, les télex de Léopoldville pour savoir quels sont les ordres qui étaient donnés.

C’était vraiment choquant de voir que la Belgique a fait semblant de laisser le peuple congolais vivre son indépendance, choisir son Premier ministre Patrice Lumumba mais la Belgique voulait garder la mainmise sur le Congo. Elle a fait semblant d’accorder l’indépendance tout en gardant la mainmise sur l’armée et sur les richesses du pays notamment.

Il n’y a pas que Lumumba qui a été assassiné. Nous pouvons aussi citer Kimbangu tué à Lubumbashi, les 5 à 6 millions de morts de l’époque du roi Léopold II. Lorsque vous aurez terminé avec le procès Lumumba, envisagez-vous d’autres pour Kimbangu et les «morts du roi » ?

C.M : On se limite strictement à ce dossier-là : l’arrestation, le transfert, l’assassinat de Patrice Lumumba.

Ce n’est pas le procès du colonialisme. Il s’agit d’un assassinat, d’un crime de guerre. Si on est choqué, c’est parce qu’on entend encore aujourd’hui les politiques belges dire que la politique des mains coupées et autres barbaries attribuées à Léopold II ne sont que des racontars, de la démagogie. Alors que c’est scientifiquement prouvé. On est encore dans cette logique de nier les faits historiques. Mais ce n’est pas cela qui nous importe pour le moment. Il faut commencer quelque part. Et cette affaire d’assassinat de Lumumba est déjà un gros morceau. C’est une grosse affaire difficile à détricoter pour arriver à trouver la vérité.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

A.S : Ce qui est important dans cette affaire, c’est que le droit à la vérité peut être mis en avant comme droit de l’homme. Cette fois-ci, c’est un droit méconnu mais qui est de plus en plus invoqué pour des disparitions forcées. Mais si ce droit à la vérité pouvait aussi avoir un contenu substantiel dans l’affaire Lumumba, ce serait un pas en avant pour le droit, pour notre histoire commune. Et ce serait une très bonne chose.

C.M : Ce qui m’impressionne dans ce dossier Lumumba, c’est que l’affaire Lumumba est ce qu’on peut appeler le scandale Lumumba. J’ai l’image de ce policier belge qui a gardé une dent de Patrice Lumumba. Après l’assassinat de celui-ci, son corps a été dissout dans l’acide. Et lui a gardé une dent comme une espèce de trophée de chasse. Il est rentré avec en Belgique et cela a été montré à la télé. Des articles ont été publiés. Mais il n’y a eu aucune réaction judiciaire. Le droit à la vérité et le devoir d’enquêtes continuent jusqu’au décès de la personne suspectée. Pour ces faits qui sont tellement horribles, la justice aura lieu un jour. Même si cela prend du temps, c’est cela qu’il faut garder à l’esprit : la justice n’oublie rien et lorsqu’elle intervient, les coupables sont condamnés.

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